Regard sur la gestion des différends

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Une situation à titre d’exemple :

 

Une petite famille en retard comme chaque matin de semaine.

Jeanne et Mathieu courent dans l’appartement. Echange de consignes logistiques tout en avalant un café et en houspillant le petit Victor, 3 ans, qui n’en finit pas d’enfiler son pantalon.

-  Pour l’école ça va être juste pour moi ce soir, dit Mathieu, il faut que je voie Cordélis après la réunion de service …

-  Encore lui ? Mais tu m’avais dit qu’il avait été nommé à Houston !

-  Oui … Mais il reste quand même le patron de la Filière …

-  Alors celui-là, je ne peux vraiment pas le voir en peinture ! Moi, normalement, je reviens par le train qui arrive vers 17.00 heures et j’ai …

 

Mais le cri de Victor interrompt l’échange. Mathieu et Jeanne se précipitent pour constater que Victor s’est étalé de tout son long sur le coffre à jouets après avoir enfilé les deux pieds dans la même jambe de pantalon …

 

Le même soir, Jeanne qui est repassée au bureau après son retour, reçoit un coup de fil particulièrement acide de la directrice de l’école : il est 18.10 heures et personne n’est encore venu chercher Victor. Il sera conduit au commissariat de quartier à 18.30 heures.

Trajet en taxi illico, le prix de la course ahurissant, un cours de morale par la Directrice de l’école, un message incendiaire sur la messagerie de Mathieu, Victor d’une humeur de chien, et, par-dessus le marché, maman qui est là ce soir pour dîner …

 

Vers 19.00 heures, de son côté, quand Mathieu consulte sa messagerie après son entrevue avec Cordélis, il tombe sur un message extrêmement violent de Jeanne qui semble en furie contre lui pour une histoire de course en taxi hors de prix, qui lui assène des « On ne peut jamais compter sur toi … », des  « Tu ne prends jamais tes responsabilités … », etc. …

 

Quand Mathieu arrive chez lui, retrouvant Jeanne, Victor et Corinne sa belle-mère, l’ambiance est électrique. Malgré le bain de Victor, la préparation du dîner, la conversation à faire à Corinne, Jeanne et Mathieu ne parviennent pas à temporiser longtemps et une explication sur l’incident de l’école a lieu …

 

Jeanne :

-  Comment ça tu m’avais dit que tu ne pouvais pas ?

-  Ben oui, je t’ai dit que je devais voir Cordélis après la réunion …

-  Et quand tu dis « Je dois voir Cordélis après la réunion », ça veut dire : « Je n’irai pas chercher Victor à l’école ce soir » ? Faut être devin pour te comprendre !

-  Si tu pouvais éviter ce genre de vanne, ça rendrait la communication plus facile … Est-ce que nous pouvons déjà constater qu’il y a eu un quiproquo entre nous ?

-  Ah ! je vois où tu veux en venir …  J’ai mal compris …

-  Non, Jeanne. Nous nous sommes mal compris.

-  N’empêche que tu dis que tu m’avais prévenue ! Si tel avait été le cas je serais allée directement à l’école en rentrant, plutôt que de repasser au bureau …

-  C’est ce que moi j’avais compris : tu rentrais par le train qui arrive vers 17.00 heures et tu allais chercher Victor … Alors t’imagines, quand j’ai écouté ton message en sortant de l’usine …

-  Ben quoi ?

-  T’as conscience de la façon dont tu m’as parlé dans ce message ? Tu veux que je te le fasse écouter ?

-  Et moi ? Tu imagines l’effet que ça m’a fait de me faire engueuler par la Directrice alors que je croyais Victor à la maison avec toi ?

 

Il est aisé d’imaginer les suites de cette conversation … Les commentaires sur la conduite de l’autre augmentent l’agitation et brouille la communication.

 

Grâce à l’Etape « E » (Endosser sa douleur) (cf "E.M.O.T.I.O.N." Albin-Michel), chacun des protagonistes pourrait :

  1. Distinguer les faits de l’effet, distinguer ce qui est à l’extérieur de ce qui est à l’intérieur de soi,
  2. Se réapproprier son propre état intérieur, redevenir soi-même responsable de son propre ébranlement (et non considérer que c’est l’autre qui en est responsable).

En se focalisant davantage sur leur propre douleur, Jeanne et Mathieu pourraient considérablement améliorer leur communication mutuelle.

S’expliquer sur les faits

 

L’application de l’Etape « E » ne signifie pas qu’en cas de différend, le seul fait d’endosser sa douleur et d’exonérer l’autre de toute responsabilité vis-à-vis de sa propre douleur permet d’évacuer le traitement nécessaire des faits.

 

Il est clair que l’usage de l’Etape « E » permettrait à Jeanne d’endosser la douleur vécue lors de l’appel de l’école et la souffrance vécue lors des suites de l’incident. Jeanne pourrait ainsi distinguer ce qui relève de son propre traitement de la situation, en résonnance avec sa propre histoire personnelle, de ce qui relève des stimuli extérieurs.

 

Jeanne pourrait ainsi prendre conscience de sa surprise à constater que Mathieu n’était pas à la sortie de l’école ce soir-là. Elle pourrait entrer en contact avec la panique qui l’a saisie tout à coup et voir apparaître les fois où son propre père n’était pas aux rendez-vous convenus lors des visites du week-end et qu’elle attendait, interminablement.

 

Jeanne pourrait prendre conscience que c’est un idéal de maîtrise qui la fait organiser, régenter et « mécaniser » Mathieu au passage, nourrissant sa peur de subir …

Elle pourrait également exonérer Mathieu de toute responsabilité quant aux répercutions qui lui sont personnelles et intimes. Il n’a rien à voir avec le cataclysme intérieur vécu par Jeanne. Et même en cas de défection de sa part (ce qui n’est pas un fait avéré) sa responsabilité porterait sur un oubli ponctuel et non sur l’état catastrophique dans lequel Jeanne s’est mise en conséquence.

 

Il est clair que Mathieu pourrait, de son côté, faire la démarche analogue en constatant que la blessure du message de Jeanne ne concerne que lui, que son idéal de paix et d’harmonie mériterait d’être vu pour ce qu’il est : un idéal, etc.

 

Mais Jeanne et Mathieu ont un autre challenge à relever : celui de comprendre ce qui s’est passé au niveau des faits, celui d’aller confronter les représentations de chacun pour que le différend se résolve.

 

Pour pouvoir distinguer les faits des effets, il s’agit aussi de rechercher la clarté et la conscience sur les faits générateurs du différend.

Se limiter à distinguer les faits (pour soi) de l’effet (en soi) ne résout rien du différend.

Chacun des protagonistes endossant sa douleur suite à des faits toujours autant générateurs de discorde !

 

S’il est illusoire d’imaginer aboutir à l’objectivité, il n’y a pas de sortie d’une situation de différend sans confrontation des représentations, éventuellement accord ou arbitrage (susceptible d’être effectué par une autorité). C’est tout l’enjeu des tribunaux au sein desquels des vérités contradictoires s’affrontent jusqu’à ce que l’épée tranche, à défaut d’un accord négocié entre adversaires.

 

Pour le tenant de l’autorité :


Face à un conflit qui démarre, les tenants de l’autorité réagissent très fréquemment en convoquant les protagonistes pour les amener à s’écouter mutuellement et à se mettre d’accord. Dans ces réunions, le tenant de l’autorité prend une posture de médiateur sur la base d’une idée simple : chacun doit faire un effort et tout ira pour le mieux. Autrement dit, les torts sont partagés, il suffit de les reconnaître, de faire quelques concessions pour aboutir à un consensus.

 

Les responsables qui appliquent cette démarche aimeraient d’un seul coup être débarrassés du problème, ne pas avoir à trancher pour ne pas s’exposer et retourner rapidement à la tranquillité d’une conciliation apparente.

La stratégie employée dans cette logique adopte toujours à peu près les mêmes principes : on édulcore la gravité des ressentis, on réduit l’importance réelle des enjeux, on énonce des lois affectives (il faut s’apprécier mutuellement et coopérer, il faut respecter les 7 Étapes de la Logique Émotionnelle, etc.).

Au fur et à mesure des débats, l’autorité gomme les différends, minimise les écarts de conduite, jusqu’à dire, comme si le sentiment était partagé par tous, que finalement, « Ce n’était pas grave », « On s’est compris et tout est réglé ».

Si on s’en tient là, le conflit est officiellement enterré ! En réalité, il reste souterrain, invisible. Comme il ne peut plus s’exprimer au grand jour, il risque fort de devenir plus sournois et certainement plus grave. Il n’est en rien résolu.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 90)

 

La zone obscure

 

Dans pratiquement toutes les circonstances de communication, et particulièrement en cas de différend, on n’est pas dans une situation « claire » où la frontière entre accord et désaccord est parfaitement connue et délimitée. La plupart du temps, la situation comporte une zone de confusion.

La zone obscure est faite de malentendus, de confusions, d’incompréhensions, de préjugés, d’a priori, de jugements de valeurs, de stéréotypes, d’illusions, de méconnaissances, d’intentions cachées ou plus ou moins conscientes.

Elle empêche l’accès à une compréhension réelle de l’interlocuteur, à une véritable négociation ou à une médiation.

 

Dans une situation de différend, plus la zone obscure est importante, plus elle parasite les échanges. Les tentatives de médiation, de négociation, de compréhension restent vaines. Beaucoup de temps et d’énergie sont consommés inutilement au profit de la zone obscure. Seule la mise en lumière de ce qu’elle contient permet un déblocage et l’aboutissement à une situation claire – ce qui ne signifie en aucun cas une situation d’accord.

La zone obscure peut cacher des éléments susceptibles d’étendre tout autant la taille de la zone d’accord que celle de la zone de désaccord !

 

Cette démarche d’investigation, qui vise à soulever le voile de la zone obscure, heurte ce qu’on considère habituellement comme « logique » ou « évident ».

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 98)

 

Dans l’investigation de la zone obscure, l’Etape « O1 » (Observer ce qui me touche dans l’événement) fournit une aide précieuse.

Cette étape qui invite à constater qu’il y a du « vrai » et du « pas vrai » dans nos perceptions devrait permettre une écoute plus efficace des protagonistes qu’un différend oppose.

Cette démarche d’investigation, qui vise à soulever le voile de la zone obscure, heurte ce qu’on considère habituellement comme « logique » ou « évident ». Mais c’est précisément au nom de l’évidence et/ou de la logique que les zones obscures existent et se développent, et vont parfois jusqu’à occulter complètement toute possibilité de communication.

S’aventurer dans la zone obscure, c’est prendre le risque d’être surpris, effrayé, d’avoir à remettre en cause des « vérités » bien établies.

Ce n’est pas pour obtenir un accord complet ni une situation idéale qu’on cherche à réduire le plus possible la zone obscure. Il s’agit simplement d’atteindre une situation claire, sans zone d’ombre, où les points d’accord et de désaccord sont clairement explicités, où chaque point de vue est pris en compte, sans que des mobiles ou des intentions obscures alimentent la tendance au conflit.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 100)

La capacité d’une personne à « entrer dans le cadre de l’autre », faire preuve d’empathie, en situation de différend et en présence d’émotion est proportionnelle à son niveau de copilotage.

C’est un exercice délicat que d’entendre le copilote qui hurle sa panique, sa rage ou sa fatigue et de négocier avec lui une prise en compte moins radicale que celle qu’il voudrait imposer.

 

Il s’agit à la fois d’éprouver et de contenir la pression engendrée.

Cela peut conduire à des comportements légèrement contraints, emprunts d’apprivoisement, de tâtonnements. Chercher à voir le monde par les yeux de l’autre : la démarche de l’empathie ne se fera pas aisément en situation de différend ! Sans doute faudra-t-il s’y contraindre, dans une proportion acceptable par le copilote …

Une démarche proche d’un don que Gustave Thibon exprimait en ces termes :

Se contraindre pour donner. – Tu vois que cet être attend cela de toi. Tu hésites, tu te refuses, car rien n’est prêt en toi pour faire un tel don. Mais si tout était prêt en lui pour le recevoir ? Là où tu sens que Dieu a préparé le sol, n’hésite pas à semer, s’il le faut, d’une main crispée et d’un cœur absent.

(« L’Echelle de Jacob », Gustave Thibon, Fayard, page 47)


Un conflit se réduit rarement à une simple opposition entre personnes.

Plusieurs éléments caractérisent son déclenchement et son développement.

Dans un conflit, l’un et/ou l’autre des protagonistes ne s’intéresse qu’à la satisfaction de ses propres besoins sans prendre en compte ceux de l’autre (impliqués de près ou de loin), et ce quels qu’en soient les coûts.


L’un, l’autre ou les deux peuvent utiliser n’importe quel moyen pour atteindre leur but, y compris des leviers sans rapport avec l’objet du conflit, voire qui dépassent les normes de la relation sociale. Par exemple, l’usage de lettres anonymes de dénonciation au fisc n’a rien à voir avec la nature d’un conflit de voisinage.


Celui qui s’engage dans une stratégie conflictuelle ne cherche pas à convaincre son interlocuteur ni à obtenir de lui une concession ; ce qui l’intéresse est de le déstabiliser, de l’affaiblir ou de dégrader ses moyens jusqu’à le faire céder. On peut ainsi calomnier un concurrent pour un poste de façon à le décrédibiliser afin d’emporter la nomination.

 

Du point de vue de l’autorité, le conflit est un puissant destructeur de la cohésion du groupe et un danger extrême pour le système. Il absorbe les énergies, altère les ressources, affecte les capacités des participants, détourne les objectifs. Il n’y a pas de bon conflit.

Le conflit crée des blessures durables qui réduisent la motivation, les capacités d’engagement et de participation des acteurs du système.

 

Le conflit peut porter sur n’importe quel sujet de divergence, de concurrence ou d’inimitié. Le « mode conflit » est une façon de se comporter pour traiter un désaccord ou une opposition. C’est un choix qui requiert plusieurs conditions :

  • Il faut croire qu’on peut gagner en l’adoptant,
  • Il faut être indifférent aux effets produits sur l’autre ou les autres,
  • Il faut disposer du temps et de l’énergie suffisants pour s’y consacrer,
  • Il faut disposer de moyens de pression sur l’autre,
  • Il faut enfin avoir une certaine « compétence » pour évoluer sur ce terrain.

 

Souvent, celui qui adopte ce mode s’en justifie en expliquant l’importance des enjeux pour lui, les torts de l’autre, l’injustice dont il est victime, la gravité ou l’importance du sujet, etc. Mais ces arguments sont irrecevables. Ils confondent deux choses qui n’ont rien à voir : le sujet du désaccord et la façon dont on le traite.

Face au même sujet de désaccord, avec le même contradicteur, avec les mêmes enjeux et les mêmes données, toutes les personnes n‘adopteront pas le mode conflit.

Il convient donc de distinguer l’objet (ce sur quoi porte le désaccord) de la raison réelle du conflit (ce pourquoi l’un ou les deux choisit d’utiliser le mode conflit pour le résoudre).

Le conflit n’est jamais vraiment obligé par les enjeux, c’est une option de conduite très personnelle.

Ceci dit, le choix du mode conflit peut être plus ou moins délibéré. Pour certaines personnes, il est le résultat d’une réflexion froide, tactique, issue d’une analyse de la situation. Pour d’autres, il est un mode qui s’applique spontanément à toutes situations où elles se sentent affectées d’une certaine façon.

 

Les personnes pour lesquelles le bonheur, le bien-être et la satisfaction de l’autre sont très importants ont du mal à employer le mode conflit. L’agression est contraire à leurs valeurs comme à leur identité. Sensibles à ce qui peut toucher l’autre, elles éprouveraient elles-mêmes la douleur qu’elles lui infligeraient.  Le mode conflit n’est pas viable pour elles et devoir s’y résoudre les perturbent très fortement.

En revanche, les égocentriques n’ont pas ces états d’âme : les sentiments de l’autre ne pèsent rien pour eux. S’ils perçoivent que la douleur affaiblit, déstabilise leur adversaire, ils y voient un moyen utilisable sans scrupule. Ils exploitent donc naturellement le mode conflit dès qu’ils entrevoient une fragilité chez leur interlocuteur.

 

Dans tous les types de systèmes, il y a finalement peu de conflits dans lesquels l’autorité soit neutre, où elle n’ait pas le pouvoir d’arbitrage ou de décision. Elle interfère dans tous les cas, sur tous les aspects du différend : la forme, le fond, le résultat.

Le choix du mode conflit peut être un levier d’influence sur l’autorité. Il existe des tenants de l’autorité qui se laissent facilement bousculer, impressionner ou séduire par des conduites conflictuelles, et d’autres chez qui elles provoquent plutôt un raidissement contraire.

Les premiers favorisent l’usage du conflit, en encourageant l’expression des personnalités dominantes, égocentriques et agressives. L’autorité laisse ainsi s’épanouir dans le système une jungle qui fait la part belle aux conduites dévastatrices des dominants et qui oblige tous les autres, pour se protéger, à participer malgré eux aux conflits.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, Extraits)



Les 4 façons de régler un différend

(D’après « Maîtriser les conflits », opus déjà cité)

 

Conflit :

Les facteurs qui poussent quelqu’un à entrer en conflit dépendent :

-          De ses objectifs personnels,

-          Des leviers d’action dont il dispose,

-          De sa croyance en l’efficacité de son choix,

-          De son niveau d’altruisme ou d’égocentrisme.

Les protagonistes qui ont choisi d’utiliser le mode conflit pour régler leurs problèmes ne se privent pas de multiplier les moyens. Conflits ouverts, rampants, larvés, ils peuvent toucher les personnes, leur réputation, leur notoriété, leurs responsabilités, leurs attributions, leur position, etc.

Dans la plupart des différends, les conflits ne trouvent que des issues néfastes ; les relations sont empoisonnées et font le lit de nouveaux conflits. Le système est toujours au bord de l’éclatement : l’autorité a failli et s’épuise en interventions aléatoires, mal accueillies et inefficaces.

 

Confrontation :

Dans le mode de confrontation, les échanges et les rapports de force ne concernent que l’objet du désaccord. Chacun expose ses besoins, ses certitudes, ses arguments, ses droits, voire les obligations de son contradicteur, sans utiliser d’autre levier que le débat, la conviction, les règles réciproques.

On se dit de front, clairement et fortement, ce qu’on a à se dire, sans se laisser intimider ou infléchir. On affirme ses exigences, sa position, et on met ouvertement en cause la justesse des exigences et de la position de l’autre.

Mais les protagonistes s’interdisent d’émettre des jugements l’un sur l’autre, de mettre en difficulté leur opposant sur d’autres terrains que celui de l’enjeu identifié, d’utiliser tout levier qui provoquerait une souffrance ou une dégradation de ses ressources, de sa position ou de ses relations dans le système.

 

Négociation :

Les protagonistes qui choisissent d’utiliser le mode négociation pour régler leurs problèmes s’orientent vers une solution qui sera probablement un arrangement entre des besoins opposés. L’usage de la négociation suppose d’emblée de faire des concessions.

Il n’est pas nécessairement recherché une stricte égalité dans les concessions mutuelles, mais plutôt un équilibre des niveaux de satisfaction respectifs. Les besoins des deux parties étant souvent de nature différente, ce qui est important pour l’une ne l’est pas au même degré, ni pour les mêmes raisons, pour l’autre.

Si on ne parvient à se mettre d’accord, s’il reste des positions divergente irréductibles, la négociation échoue. Dans ce cas, on retombe obligatoirement dans le mode confrontation, voire le conflit.

 

Partage :

C’est un mode de résolution plus avancé que la négociation.

La pérennité de la relation passant au premier plan pour chacun des protagonistes, la satisfaction des besoins de l’autre est au moins aussi importante que la sienne. On partage spontanément les problèmes, les besoins et les solutions. On recherche donc une solution équitable où les deux partenaires seront gagnants, ou contents de faire un don à l’autre.

Contrairement à la négociation, aucun des protagonistes n’a besoin de défendre ses intérêts : l’autre s’en préoccupe autant que des siens propres. Les modalités du partage sont à la fois infiniment nombreuses mais toujours assez simples dans leur inspiration :

-          Connaître les besoins, les craintes et les difficultés de l’autre,

-          S’interroger sur la façon d’y répondre,

-          Etre attentif à ce qui se passe, à ce que ressent l’autre,

-          Hiérarchiser ses propres besoins,

-          Pouvoir demander,

-          Ne comptabiliser ni les coûts ni les avantages

Malheureusement, le partage ne se décrète pas. La coopération, la solidarité requièrent un minimum d’altruisme de la part des participants.


Quand le mode conflit est maintenu par l’autre

 

La conversation entre Jeanne et Mathieu pourrait prendre une tournure conflictuelle.

Jeanne reprenant les arguments utilisés dans son message vocal, Mathieu tentant de temporiser : le moment est mal choisi pour en parler, cela mérite de se poser calmement pour se comprendre, débriefer à chaud n’est pas toujours la meilleure idée …

Il propose :

-  Ecoute, si on essayait de ne pas tout mélanger … D’un côté il y a eu un quiproquo entre nous ce matin qui fait que tu t’es pris l’appel de l’école en pleine tête, comme tu dis, et d’un autre côté il y a l’effet que ça a eu sur toi qui t’a …

Tout à coup, Jeanne se met à hurler :

 -  Alors là tu arrêtes tout de suite tes machins de développement personnel à la con ! Hein ? Je ne suis pas ton assistante ! Non mais pour qui tu te prends ? Tu n’es qu’un sale égoïste !

Jeanne avance vers lui le regard dur et les gestes agressifs …

 -  Tu n’arriveras pas à me manipuler ! Non mais, regardes-toi ! Tu n’es même pas capable de prendre tes responsabilités ! Tu ne vaux pas mieux que mon père ! Tu dis un truc et tu te défausses ! Tu n’assumes même pas tes propres actes !

La mère de Jeanne, qui s’est approchée en entendant les cris de sa fille, intervient :

-  Ah Jeanne, tu n’es pas juste … Calme-toi ! Comparez Mathieu à ton père ce n’est pas  …

-  Mais vas-y ! C’est ça ! Défend-le ! Tu n’as qu’à dire que c’est lui qui a été récupéré Victor pendant que tu y es ! Vous êtes d’une mauvaise foi tous les deux ! Mais je ne suis pas folle, vous n’allez pas m’avoir comme ça !

-  Mais enfin Jeanne, calme-toi … Tu me fais peur …

 

Dans cette situation, la confrontation tourne au conflit. Le mode de communication est dégradé : cris, gestes et attitudes brusques ou violents, mises en cause, agressions verbales, menaces, voire injures. Par ailleurs, Jeanne étend le périmètre et la gravité du conflit : elle y entraîne sa mère, y inclus des éléments du passé et se livre à des attaques personnelles.

 

Dans les situations de communication conflictuelle (sans attaques physiques), 3 niveaux de gravité peuvent être identifiés :

  1. Gravité + : les critiques ou attaques portent sur le rôle, les contributions de l’autre, leur valeur ajoutée. Exemple : Jeanne critiquant le rôle que Mathieu tient dans l’éducation du petit Victor ou ses contributions à la vie de la maiso
  2. Gravité ++ : les critiques ou attaques portent sur des caractéristiques de l’autre, son implication, ses façons de penser ou de réagir. Exemple : Jeanne critiquant la distraction de Mathieu ou sa légèreté vis-à-vis des engagement
  3. Gravité +++ : les attaques se font sous forme de jugements de valeur sur l’autre, sous forme d’insultes, de calomnies, de mises en cause. Exemple : Jeanne compare Mathieu à son père, le traite d’égoïste, etc.

Evidemment, plus la gravité augmente, plus le niveau de douleur est important.

 

Dans une situation où le conflit semble être maintenu volontairement par l’autre, il existe différentes façons de réagir :

Dans la mesure où la situation serait vécue par Mathieu comme émotionnelle, éprouvante, la qualité de son copilotage déterminera en grande partie sa conduite :

 

Au niveau 1 :     Mathieu considérerait son interprétation des faits comme la réalité : une crise d’hystérie ! Il ne verrait pas en quoi il pourrait en être affecté lui-même,                appliquerait la méthode ad hoc : exorciser le démon par un traitement de choc, qui permet d’obtenir un arrêt rapide des troubles …

 

Au niveau 2 :     Mathieu confondrait les faits et ses commentaires (« Ça ne va pas de me faire une scène pareille devant sa mère … »), ne supportant pas cet inconfort il réagirait violemment (fuite, lutte ou repli) tout en accusant Jeanne d’être à l’origine de sa propre réaction, expliquée comme « normale » et proportionnelle à l’attaque.

 

Au niveau 3 :     Mathieu chercherait à faire la distinction entre ses jugements sur l’attitude de Jeanne et le fait qu’il se sent blessé par le ton et le regard de Jeanne. Il chercherait à garder son calme, à contrôler sa réactivité, mettrait du temps à se récupérer sans bien comprendre le bénéfice pour lui à faire ce qu’il a fait.

 

Au niveau 4 :     Mathieu chercherait à trier le « vrai » du « pas vrai » dans ce qu’il perçoit : d’une part les indicateurs réels d’une colère chez Jeanne et d’autre part ses lecture de pensées, ses propres projections … Il demeurerait en contact avec la souffrance présente, lucide sur la pression à réagir, cherchant à apprivoiser le mouvement le poussant à fuir, lutter ou se replier et attentif à sa propre écologie.

 

Dans un cas comme celui-ci, Mathieu peut courageusement dire à Jeanne qu’il ne souhaite pas poursuivre une conversation avec elle à ce niveau de violence. Il peut s’appuyer sur les faits (cris, gestes, jugements, mises en cause) pour étayer sa prise de position. En prenant soin de ne pas revenir sur le fond du différend (en l’occurrence un probable quiproquo quant à la charge de récupérer Victor à l’école) mais en argumentant uniquement sur la forme.

 

Quand le mode conflit est maintenu par l’autre : quitter la situation

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 40)

 

A ce titre, l’Etape « M »  (Mesurer l'usage de son "Je") est une aide précieuse :

 

« Je me rends compte que quand je t’entends crier et me critiquer de la sorte, je me sens profondément blessé et meurtri … Ça me donne envie de te répondre sur le même ton pour me défendre,  mais je ne le fais pas pour préserver notre relation.

Je préfère me retirer pour que nous puissions reprendre plus tard dans de meilleures conditions ».

 

Rien ne dit que cette attitude calmera Jeanne.

Telle n’est pas l’ambition ni la promesse des Étapes de la Logique Émotionnelle.

Dans certains cas, il se pourrait même que la fureur atteigne son paroxysme.

En effet, le retrait de Mathieu prive Jeanne de l’adversaire grâce auquel elle cherche à se restaurer elle-même …

 

Pour le tenant de l’autorité :

 

Quand le mode conflit est maintenu et que le niveau de gravité a tendance à augmenter, le tenant de l’autorité qui y assiste doit :

  • Aider les protagonistes à identifier le degré d’agression dans lequel ils se trouvent,
  • Agir par tous les moyens et avec fermeté pour faire baisser le niveau de gravité.

 

De façon plus générale, le tenant de l’autorité doit :

  • Poser les interdits d’une façon générale,
  • Dénoncer ouvertement tous les comportements conflictuels,
  • Inviter fermement les agresseurs à redescendre immédiatement d’un niveau de gravité,
  • Arbitrer et trancher,
  • Sanctionner le cas échéant.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 64)

 

Il faut noter que l’extension d’un conflit se fait généralement dans l’ordre suivant :

  1. Les deux protagonistes,
  2. Le tenant de l’autorité,
  3. Des personnes proches indirectement concernées,
  4. Un cercle plus large,
  5. Tout le système,
  6. Des acteurs hors du système …

Le conflit est un terrain de jeu sans foi ni loi, où tous les coups sont permis tant que l’on gagne. Mais tous les leviers employés n’ont ni la même force ni le même impact. La gravité d’une pratique de conflit peut être appréciée à l’aulne de quelques critères :

  • L’atteinte à l’intégrité des personnes,
  • La violence ressentie par l’autre,
  • L’ampleur et la durée des séquelles sur les relations,
  • L’énergie absorbée,
  • La détérioration du système,
  • L’impact sur l’entourage et l’environnement.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 57)

 

Que ce soit dans un univers affectif comme la famille, ou très matérialiste comme l’entreprise, la pratique du conflit est partout irrecevable. C’est le résultat d’un choix indépendant de la nature du différend.

Dans tous les cas, il affecte douloureusement et durablement le système, les protagonistes, l’autorité et l’environnement.

 

L’autorité ne peut se montrer faible ou timide face à ces comportements. Si elle peut les comprendre, elle ne doit en aucun cas les accepter, et encore moins les laisser se développer.

La moindre mansuétude vis-à-vis des conduites conflictuelles les entérine et les nourrit au détriment de tous. Même quand on aime quelqu’un, ce n’est pas lui montrer de l’affection que de tolérer de sa part l’usage du conflit comme mode de relation.

Un conflit peut naître et s’exprimer malgré l’autorité ; mais il ne peut durer et aboutir dans sa complaisance.

La maîtrise des modes de résolution des différends par le tenant de l’autorité exige de lui du courage, de la rigueur, de l’implication, mais aussi de la lucidité et la capacité à disqualifier le conflit dans tous les cas.

 

Evidemment, quand lui-même utilise le conflit, aussi peu que ce soit, il se disqualifie en tant qu’autorité, et perd toute légitimité pour réduire les conflits dans son champ de responsabilité.

S’il veut le maîtriser, le tenant de l’autorité ne peut donc accepter l’usage du conflit pour qui que ce soit, y compris pour lui-même. Il ne peut pas non plus, sans s’égarer, utiliser le conflit pour lutter contre le conflit. Ce serait lui donner de l’énergie. La fermeté n’est pas la bataille.

Il peut et doit donc confronter inlassablement les conduites conflictuelles.

 

Dans une situation de conflit, la fuite peut être juste, salutaire et pertinente ; mais pour celui qui détient l’autorité, fuir les conflits revient à fuir sa fonction.

On peut parfaitement comprendre que l’effort de piloter, de confronter les autres ou de sanctionner, aille profondément à l’encontre des penchants naturels d’une personne.

C’est respectable, et il est probablement judicieux pour elle de s’y conformer.

Mais cela lui interdit du même coup d’occuper légitimement une fonction d’autorité.

(« Maîtriser les conflits », Daniel Feisthammel, Catherine Isasa, Pierre Massot, Eyrolles, page 148)