Le monde mental ment

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L'extraordinaire capacité de notre cerveau cognitif à fonctionner tout seul, à poursuivre la route de ses postulats imaginaires, à construire des systèmes et des théories, peut être illustrée par cette histoire de marteau :

 

Un homme veut accrocher un tableau.

Il possède un clou mais pas de marteau.

Le voisin en a un, que notre homme décide d'emprunter.

Mais voilà qu'un doute le saisit.

Et si le voisin s'avisait de me le refuser ?

Hier, c'est tout juste s'il a répondu d'un vague signe de tête quand je l'ai salué.

Peut-être était-il pressé ?

Mais peut-être a-t-il fait semblant d'être pressé parce qu'il ne m'aime pas !

Et pourquoi ne m'aimerait-il pas ?

J'ai toujours été fort civil avec lui, il doit s'imaginer des choses ...

Si quelqu'un désirait emprunter un de mes outils à moi, je le prêterais volontiers.

Pourquoi refuse-t-il de me prêter son marteau, hein ?

Comment peut-on refuser un petit service de cette nature ?

Ce sont les gens comme lui qui empoisonnent la vie de tout un chacun !

Il s'imagine sans doute que j'ai besoin de lui.

Tout ça parce que Môssieu possède un marteau !

Je m'en vais lui dire ma façon de penser, moi !

Et voici notre homme qui se précipite chez le voisin, sonne à la porte et, sans laisser le temps de dire un mot au malheureux qui lui ouvre la porte, s'écrie, furibond :

" Et gardez-le votre sale marteau, espèce de malotrus ! ".

 

Paul Watzlawick - "Faites vous-même votre malheur" - Seuil- Page 35

 

Cette histoire illustre comment un stimulus de départ (non identifié) peut se muer en une tempête émotionnelle.

L'histoire ne dit pas quel fût la sensation ( S1 ) vécue par notre homme alors qu'il s'apprêtait à demander le marteau à son voisin. Il est probable qu'il s'agisse d'un ressenti ( re-senti : la réactivation mentale d'une alerte). Mais cette histoire illustre jusqu'à la caricature comment nous pouvons être dupes de notre propre mécanisme.

 

Un mécanisme mental fabuleux qui tend à effacer la frontière entre réel et imaginaire, entre réalité et fiction, entre ce qui existe et ce qui n'existe pas. Un mécanisme à la base de l'autosuggestion du pharmacien Emile Coué (1857-1926), qui était déjà présent il y a deux mille ans chez Ovide dans son Art d'aimer :

" Convaincs-toi que tu aimes alors que tu désires vaguement. Puis crois-le [...]. Il aime comme il convient celui que son propre discours conduit à la passion ".

 

Le problème n'est pas que ce mécanisme existe.

Le problème est que nous pouvons en être dupes.

 

L'invitation de la clé "O" consiste à sortir de la duperie, voire à ne pas y entrer.

C'est naturel que le mental s'agite suite à l'alerte corporelle.

C'est normal qu'il échafaude, qu'il conjecture, qu'il déduise, qu'il additionne, qu'il conceptualise, qu'il " virtualise ", etc.

C'est sa fonction.

Et c'est par ailleurs extrêmement pratique !

Attention à ce que cette construction ne soit pas prise pour la réalité.

Attention à ne pas confondre une opinion et un fait.

Attention à ne pas croire tout ce que notre monde mental élabore.

 

Comment ne pas songer à Jacques Prévert qui écrivait :

 

Répétons-le Messssssieurs

Quand on le laisse seul

Le monde mental

Ment

Monumentalement

Jacques Prévert - Extrait de " Il ne faut pas " - Paroles


Paul Watzlawick est né en 1921 et mort en 2007 à Palo Alto, en Californie.

Membre éminent de la célèbre école du même nom, devenue une référence dans les domaines des théories de la communication et de la psychothérapie, notamment des thérapies brèves.

Paul Watzlawick et l'Ecole de Palo Alto ont eu une influence considérable sur les chercheurs et les psychothérapeutes du monde entier.

Bibliographie partielle en français :

 

" Sur l'interaction, Palo Alto : 1965-1974 ", 2004

" Faites vous-même votre malheur ", 1990

" Le langage du changement ", 1986

" Une logique de la communication ", 1979

" Changements, paradoxes et psychothérapie ", 1975