Regard sur la dominance

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« Quand on comprend que les hommes s’entretuent pour établir leur dominance ou la conserver, on est tenté de conclure que la maladie la plus dangereuse pour l’espèce humaine, ce n’est ni le cancer, ni les maladies cardio-vasculaires, comme on tente de nous le faire croire, mais plutôt le sens des hiérarchies ».

Henri Laborit

 

Notre système de copilotage donne aux mots dominance et pouvoir une réalité corporelle avant de devenir socioculturelle. C’est au cœur de notre cerveau que loge la recherche de la maîtrise, la lutte pour survivre, le fantasme du pouvoir pour éviter de souffrir.

 

Il s’agit de prendre connaissance du système qui est inhérent à notre être et contre lequel nous ne pouvons nous défendre.

Pour autant, et en aucun cas, cette connaissance ne justifie les habitudes et les stratégies des hommes les uns sur les autres.

Mais à partir du moment où nous connaissons notre propre système, il est possible de l’intégrer et de se familiariser avec lui. De l’apprivoiser comme notre façon d’exister et d’inventer avec lui des formes de relation.

 

Nous pouvons prendre la métaphore du sommeil.

 

 

Système de régulation, vital s’il en est.

Impossible à contrôler, à maîtriser, à normaliser.

Un processus fragile autant que prégnant. Un processus que nous cherchons à connaître et qui nous impose son fonctionnement, malgré les cliniques du sommeil et toute la pharmacopée qui lui est attachée.

Comme les émotions, le monde du sommeil peut faire peur.

Son mystère, l’impuissance du cognitif à lui imposer quoi que ce soit, son côté irrationnel et notre fragilité face à lui : nous n’y pouvons quasiment rien et de lui dépend notre vie !

 

Comme pour les émotions, nous souhaiterions en prendre le contrôle.

Comme pour les émotions, les techniques ne manquent pas.

Comme pour les émotions, toutes les techniques montrent vite leurs limites.

 

Comme les émotions, le sommeil est au cœur de notre propre être. Universel et propre à chacun.

Comme les émotions, le sommeil est pour nous un langage qui nous est adressé et qui nous parle de nous-mêmes.

Comme les émotions, le sommeil est un témoin de notre copilotage intérieur.

Comme les émotions, il s’apprivoise. Apprivoiser, ce n’est pas maîtriser, ce n’est pas diriger, ce n’est pas enfermer, ce n’est pas gérer.

 

Au cœur de nous, il y a un système qui, obsédé par la survie de l’être, a appris à éviter ou à lutter pour maintenir son équilibre. Il a appris à fuir ou à se soumettre à la dominance de l’autre comme il a appris à établir une dominance sur l’autre.

Mais ce n’est pas l’autre qui en jeu dans ces mouvements.

C’est l’être.

Chaque être vivant pourrait déclarer à sa victime : « Je ne t’attaque pas à cause de toi, mais à cause de moi ! ».

Méconnaître cela revient à croire que le lion éprouve de la haine pour la gazelle !

 

Peut-être est-ce cette compréhension profonde qui explique le pardon que les chasseurs de tribus ancestrales demandent à leurs proies. Peut-être s’agit-il de dire à cet être qui vient d’être tué qu’il n’y a aucune intention dirigée contre lui. Peut-être s’agit-il d’une belle illustration d’une lucidité qui manque un peu ces temps-ci : le mouvement de dominance que je constate en moi n’est pas dirigé contre l’autre !

Le connaître et le contacter, c’est constater qu’il s’agit de moi. Que le processus est chez moi. Que l’autre n’est qu’un stimulus. Mais que je peux en faire un prétexte, un alibi, un otage de mon propre déséquilibre.

 

« Il n’y a pas d’instinct de dominance.

Il y a simplement l’apprentissage par le système nerveux d’un individu de la nécessité pour lui de conserver à sa disposition un objet ou un être qui est aussi désiré, envié, par un autre être.

Et il sait par apprentissage, que dans cette compétition, s’il veut garder l’objet et l’être à sa disposition, il devra dominer ».

« Mon oncle d’Amérique », Film d’Alain Resnais, 1981.

 

La lutte est une réaction de dominance par autodéfense : dominer parce que nous ne pouvons fuir notre existence, dominer parce que la fraction de seconde juste avant, toute notre structure s’était sentie ébranlée et affaiblie, dominer parce qu’ainsi nous nous redressons et satisfaisons un besoin de solidité.

 

Cette expérience vécue peut devenir un credo intérieur. Devenir une évidence à laquelle nous nous fions puisqu’elle nous a sauvés la face, peut-être la peau. Alors, ce credo se traduit bientôt par : « Dominer pour ne pas l’être ».

Dominer parce que nous sommes convaincus que l’autre veut notre peau.

Dominer parce que nous considérons ne pas avoir le choix.

Dominer parce que le monde a toujours fonctionné comme ça.

 

Pour sortir de la dominance, il faut oser entrer dans l’espace intime du cerveau archaïque qui nous défend et veille sur notre survie. Oser entendre sa logique pour faire alliance avec elle. Ne rien exclure de soi est le meilleur moyen de nous habiter.

 

La métaphore avec le sommeil pourrait se poursuivre : dormir, c’est se retirer en soi.

Quand nous dormons, nous « effaçons » le monde et les autres !

Il y aurait peut-être un instinct égocentrique dans le sommeil !

Absurde ?

Regardons l’effet qu’a sur nous quelqu’un qui s’endort au cours de notre conversation ou un peu trop vite systématiquement le soir …

Immanquablement, nous lui prêtons une intention à notre égard !

Et s’il n’y avait pas autre chose qu’une régulation interne impérieuse ?