Regard sur les risques psychosociaux

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L’entreprise qui décide et agit d’abord en fonction de ses intérêts économiques et financiers, « gère » la ressource humaine. Et elle « gère » désormais la prévention des risques psychosociaux, la qualité de vie au travail et l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

La loi impose désormais aux entreprises de démontrer qu’elles ont mis en place des dispositifs de prévention et de prise en charge des risques psychosociaux. La médecine du travail se préoccupe désormais du niveau de stress du personnel.

Le propos n’est pas, ici, de porter un jugement sur la pertinence de telles dispositions.

Le propos souligne l’évolution vers une prise en charge toujours plus normée de la dimension émotionnelle.

Vers le traitement toujours plus extériorisé à l’individu d’une dimension qui lui est vitale, corporelle, intime, particulière, singulière.

Il est intéressant de constater que les entreprises raisonnent en termes de facteurs collectifs de risques psychosociaux alors qu’il s’agit d’une problématique par essence individuelle.

 

Un département de l’entreprise se restructure.

Des postes seront supprimés.

Des métiers seront externalisés.

De nouvelles compétences seront requises.

Les performances attendues seront renforcées.

Des implantations géographiques seront modifiées.

 

Chacune de ces phrases provoquent une hausse du niveau des risques psychosociaux.

Bien entendu, il est louable que l’entreprise se préoccupe d’accompagner ses salariés dans les difficultés de tous ordres que provoque un changement.

Les dispositifs de prévention des risques psychosociaux incluent une écoute des doutes, des peurs et de la souffrance en général. Mais cette écoute est toute entière tournée vers la gestion, l’encadrement de ce qui pourrait être des débordements émotionnels, préjudiciables à l’entreprise voire aux individus eux-mêmes.

L’entreprise va multiplier les « outils de prévention du stress », les « formations aux risques psychosociaux », diffuser moult « fiches d’action pratiques », focaliser les managers sur la « détection des facteurs de risques psychosociaux ».

 

Elle va mobiliser DRH, relais d’établissements sur la prévention des risques psychosociaux, médecins du travail, assistantes sociales, organisations syndicales, CHSCT (Comité Hygiène Sécurité Confort  au Travail).

Elle va veiller à ce que managers et personnels ne stigmatisent pas les salariés qui feraient état des difficultés qu’ils rencontrent.

Elle va communiquer en interne (voire en externe) sur la qualité de l’accompagnement psychosociologique du changement mis en place.

 

Il est remarquable de constater que toutes ces actions portent sur des aspects structurels de l’organisation, des actions collectives, et tentent toutes de prévenir l’apparition d’un drame. Et il n’est pas question, ici, d’y opposer une quelconque critique. Mais une dimension essentielle n’est pas prise en compte : la logique du vivant des individus concernés.

Il manque à ces dispositifs ce qu’il manque dans la société dans son ensemble : la connaissance ou la reconnaissance du processus émotionnel comme un mouvement naturel de vie et la capacité de chaque être vivant à s’adapter à l’environnement dans lequel il évolue.

 

Force est de constater que ces dispositifs (qui concourent à la réduction des risques) conduisent à une aseptisation, une pasteurisation de la vie émotionnelle. Il est frappant de constater que les dispositifs de prévention des risques psychosociaux renvoient le traitement individuel de la souffrance à la sphère médico-sociale (assistantes sociales, médecine du travail).

C’est dire qu’elle a peu droit de cité.

 

Et ce faisant, on invite à une déresponsabilisation de l’individu. Si le salarié souffre, c’est à cause de la politique de l’entreprise, c’est du fait de la stratégie de la Direction, des managers N+1, N+2, N+3, etc.


Il faudrait que soit proposée une régulation personnelle à un processus personnel. Ce que la société et l’entreprise pourraient proposer aux individus, c’est une compréhension mieux partagée du fonctionnement de leur cerveau.

Plutôt que de prolonger la vieille histoire selon laquelle les sachants savent ce qui est bon pour les non-sachants.

Ce qui prolonge le système de dominance.

Ce qui peut conduire à la révolte du corps dans les pathologies.

Ou aux conflits sociaux récurrents, aux affrontements, à la démesure des comportements opportunistes et égocentrés.