chercher a comprendre le sens de la colere

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L'exemple de Rémi

 

Rémi, la quarantaine dynamique et sportive, père de deux enfants de 7 et 11 ans qu’il a en garde alternée, fait part de son désarroi.

Sa relation épisodique avec ses enfants (15 jours par mois) tourne à la catastrophe.

Les relations deviennent tendues, les bons moments de complicité et de tendresse se font rares.

Il se voit se fâcher souvent et de plus en plus violemment.

Rémi en vient à douter de ses capacités de père.

Géniteur, oui, mais père au long cours, même en alternance, cela ne lui semble pas être son « truc ».

S’ensuit des affres de confusion mêlant culpabilité, commentaires négatifs sur sa vie jusqu’ici, etc.

 

Lors d’un entretien, un épisode récent de forte tension avec les enfants est analysé.

La scène se passe dans la voiture, lors d’un trajet d’une bonne centaine de kilomètres.

Alors que Rémi conduit, l’ambiance, à l’arrière, devient électrique.

La sœur embête le frère qui se met à crier puis qui embête la sœur, qui se met à crier, etc.

Les appels au calme de Rémi, s’ils sont entendus, ne sont suivis d’aucun effet tangible. Et ça continue …

Tous les parents qui ont voyagé avec des enfants doivent parfaitement voir le tableau …

 

A un moment, Rémi explose.

Il n’a plus, lors de l’entretien, la mémoire précise de ce qu’il a dit.

Mais ce dont il se souvient parfaitement c’est la violence de l’action.

Et plus encore que la violence des mots, c’est sa façon de hurler, tellement forte, tellement énorme !

 

A l’arrière, un silence absolu s’est installé et les enfants ne quitteront leur immobilité totale que petit à petit, une distance vis-à-vis de leur papa demeurant perceptible selon lui jusqu’au soir.

 

-  Que se passe-t-il en vous, Rémi, quand vous entendez le chahut des enfants à l’arrière ?

-  Vous comprenez, pour conduire, j’ai besoin de calme … Alors ça m’agace vite, je leur                 demande de se calmer …

-   Vous leur demandez de se calmer ?

-   Oui, plusieurs fois de suite …

-   ... ?

-   Et puis, peu à peu je me suis senti devenir furieux !

    Furieux, oui ! On aurait pu discuter, on aurait pu chanter …

    J’ai essayé plusieurs fois de les brancher sur un sujet …

    Pas moyen …

    Je leur ai dit que ça me gênait pour conduire …

    Qu’ils me prenaient la tête …

-  Mais un peu avant que vous ne leur hurliez dessus, que se passe-t-il à l’intérieur de vous ?

-  J’étais comme un lion en cage …

   Je m’agitais sur mon siège …

   Je regardais dans le rétroviseur toutes les 3 secondes, je revenais à la route …

   Je me disais que c’était pas possible …

   Je me demandais quoi faire …

-  OK Rémi, ça c’est ce que vous faisiez …

    Visiblement vous cherchiez à fuir …

   Mais que ressentiez-vous à l’intérieur de vous ?

   Vous étiez là, coincé au volant, obligé de faire attention à la route, avec tout ce chahut               derrière, les cris qui vous prennent la tête …

-   Oh là … (Rémi porte sa main à sa gorge) J’étouffe !

-   Vous étouffez ?

-   Oui, j’étouffe !

    C’est pas supportable !

-   Et que faites-vous à cet instant précis ?

-   Je leur hurle dessus comme je crois que je ne l’ai jamais fait …

-   Vous avez une idée de ce que le fait de hurler comme ça a pu vous apporter ?

-   M’apporter ?

-   Oui, il doit bien y avoir un bénéfice à dépenser une telle énergie …

-   Un bénéfice ??

    Alors là, je ne vois pas !

   Je ne vois pas le bénéfice à se conduire aussi brutalement avec des gamins …

   Les miens en plus …

   Les pauvres …

   Je les ai traumatisés.

   Le bénéfice …

   Ils m’ont fait la gueule toute la journée !

   Et ils en ont parlé à leur mère, évidemment …

-  Rémi …

   La question est : vous êtes là, coincé à votre poste de conduite avec les enfants qui braillent    sans arrêt, vous étouffez …

   A l’instant même, le fait de hurler comme ça, ça vous apporte quoi à vous, à vous seul, à            votre structure ?

 

Rémi réfléchit un moment, puis dubitatif :

-   De l’air … ?

-  Est-ce que, quand vous suffoquez, là, dans votre voiture, le fait de hurler vous apporte un           soulagement ?

-   Sans doute …

    Sur le moment …

    Parce qu’après …

    Quand j’ai vu la tête de mes gamins …

-   Rémi, juste là dans l’urgence de cette suffocation qui vous étreint …

-   Ok …

    D’accord …

   C’est vrai qu’en hurlant, je me dégage, ça re-circule, j’ai de l’air …

   C’est vrai aussi qu’après, il n’y avait plus un bruit dans la voiture.

   Alors, c’est vrai, ce que j’ai obtenu, c’est que les enfants se sont calmés …

   Mais à ce prix-là, je me demande si je ne préférerais pas qu’ils continuent à chahuter !

-  Rémi …

    Là vous êtes en train d’évaluer ce que vous avez fait.

   La question que nous traitons ensemble en ce moment, c’est quel bénéfice concret et              immédiat, dans l’urgence la plus absolue de votre suffocation, vous avez obtenu pour vous      en hurlant …

-  De l’air !

 

Dans la suite de cet entretien et dans les suivants, Rémi va peu à peu intégrer le fait qu’il a satisfait en hurlant un besoin fondamental, vital : de l’air !

Le fait de distinguer ce qu’il a fait (hurler) de ce que cela lui a permis d’obtenir pour lui-même (de l’air) va contribuer à calmer Rémi, même s’il demeurera un moment perplexe : tout ça pour ça ?

Toute cette énergie dépensée sur le moment, toutes ces conséquences Ô combien regrettables, toute la culpabilité qui s’ensuit …

Tout ça pour une bolée d’air ?

Est-ce bien raisonnable ?

Non, précisément, ce n’est pas raisonnable.

Car il ne s’agit pas de raison, mais de mécanisme vital, biologique, uniquement tourné vers la survie, à n’importe quel prix.

Tant que Rémi n’intègre pas profondément ce mécanisme, il reste aux prises avec ce dilemme : assurer sa survie en hurlant ou être un « bon » père pour ses enfants …

 

Puis l’intégration se fait.

La sensation d’étouffement est si prégnante que Rémi comprend combien sa réaction, pour violente qu’elle soit, a d’intelligence vitale.

Combien on ne transige pas avec un besoin d’air !

Considérant le processus émotionnel sous cet angle, les réflexions de Rémi ne l’emmènent plus du côté des commentaires sur le mauvais père qui a des rapports trop brutaux avec ses enfants, mais du côté des solutions alternatives qu’il pourrait mettre en œuvre quand la sensation de suffocation vient l’alerter sur son besoin d’air.

 

Une idée lui vient, qui le fait presque rire :

-   Et si j’ouvrais la fenêtre ?

-   Ça vous paraît une chose possible à essayer ?

-   Sérieusement ?

-   Allez Rémi, la prochaine fois que la pression des enfants commence à vous faire suffoquer,       à la maison ou en voiture, allez donc entrouvrir une fenêtre et vous me raconterez …

 

Extrait de l'ouvrage "E.M.O.T.I.O.N." pages 144-148